Délégué régional Ile de France du Groupe IGS et directeur de la recherche au Lara/ICD, il est également membre du comité de rédaction de la revue Personnel et conférencier dans plusieurs institutions sur les problématiques de management et de formation
Dans cet entretien, Thierry Teboul, revient sur les enjeux actuels de la fonction RH et notamment sur la nécessité de repenser la notion d'engagement. Il préconise pour y parvenir un dialogue et une prise de parole plus fluide et organisée au sein des entreprises.
On entend de plus en plus parler d’une humanisation de la fonction RH, d’une nouvelle priorité pour les ressources humaines : le capital humain. Qu’en pensez-vous ?
Je considère que lorsque l’on dit qu’il faut remettre la priorité à l’humain, il faut se mettre dans une logique interactive. Il faudrait presque condamner définitivement le terme ressources humaines parce que rien que ce terme sous-entend que le seul prisme par lequel on regarde le travail aujourd’hui, c’est le prisme de la direction vis-à-vis des salariés.
C’est bien d’énoncer qu’il faut remettre la priorité à l’humain mais cela veut dire qu’il faut complètement transformer notre « mind set » vis-à-vis de notre façon de réagir, notre façon d’appréhender le problème. Sans cela, on s’arrêtera à un discours qui n’atteindra pas les salariés qui aujourd’hui ont une vraie intelligence par rapport à ce que l’entreprise attend d’eux.
Les salariés ont compris qu’il n’y avait plus de promesse de carrière dans l’entreprise. Reste la promesse d’employabilité éventuellement mais ce n’est pas tout à fait la même chose. Ils se mettent donc à faire leurs propres calculs en parallèle de l’entreprise.
Aujourd’hui les directions prêchent dans le désert. Les jeunes, quand on les forme, on leur explique qu’ils vont devoir changer d’entreprise plein de fois dans leur vie, voire changer de métier. En réaction, ils se disent « d’accord et bien je vais calculer mon engagement dans chacune de mes entreprises ». Il ne faut pas s’étonner s’ils en viennent à développer leurs propres stratégies de leur côté.
Les leviers d’engagement et d’implication seraient à repenser. Comment s’y prendre ?
On ne pourra pas comprendre la notion d’engagement si l’on passe notre temps à croire que c’est à l’entreprise de fixer les termes de l’engagement. C’est une négociation, ca se deale.
Si on se met à écouter un tout petit peu les salariés peut-être que l’on obtiendra plus d’engagement de leur part. Le problème c'est que personne ne les écoute. Il y a des sujets comme l’audit social, les baromètres sociaux, dans les entreprises qui sont de vrais sujets aujourd’hui.
On passe à côté du sujet si on ne deale pas quelque chose. S’il y a un new deal à monter c’est un new deal autour de l’engagement ; on est vraiment dans une négociation, dans une transaction entre les salariés et la direction.
Comme on touche à quelque chose qui est de l’ordre de la relation client fournisseur, il faut les segmenter et avoir des relations adaptées avec chaque population. Les attentes ne sont pas les mêmes entre des populations commerciales, des populations d’ingénieurs, des populations RH, ...
Outre l’écoute interne et la négociation des termes de l’engagement, pensez-vous que la fonction RH doit se focaliser sur d’autres priorités ?
Il y a une problématique qui découle des deux autres : Comment gère-t-on l’information dans l’entreprise aujourd’hui ?
Nous savons bien que la communication interne est un sujet important dans l’entreprise. Il y a une demande forte des salariés d’être informés de ce qui se passe. D’ailleurs aujourd’hui un des grands problèmes de l’entreprise c’est le fait que les salariés ont le sentiment qu’ils ne sont pas au courant de ce qui va se passer pour eux. Cela induit ce type de calcul : « comme je ne sais pas où l’on va, moi non plus je ne leur dirais pas où je vais ». Aussi un des vrais sujets aujourd’hui consiste à se poser la question : « comment canaliser l’information ? ». Les médias se sont démultipliés et l’on ne peut pas tout maîtriser. Vous avez beau embaucher des Community Manager en RH, cela n’empêchera pas les gens de contourner les réseaux, d’avoir leur propre réseau. Il faudrait en arriver à une libération de la parole ; il vaut mieux qu’elle s’exprime cette parole plutôt qu’elle soit enfouie, réprimée et qu’à la sortie elle soit plus virulente pour l’entreprise.
Michel Crozier disait que détenir l’information c’est détenir le pouvoir. Il faudrait changer de paradigme ?
Je pense qu’il faut rentrer dans un nouveau paradigme parce que l'information vous ne la détenez plus. Dans le même esprit, cette évolution nous pousse à revoir toute notre pédagogie. Dérouler son cours sans rencontrer de contradictions et en laissant penser que l’on détient une vérité universelle, cela n’existe plus.
Pour les DRH c’est la même chose, face aux flux d’informations qui les traverse ils ont deux choix : tenter de le contrôler - et je pense que l’on s’épuise - ou l’organiser. Dans ce cas-là il faut toutefois s’assurer que la prise de parole, l’expression ne sera pas sanctionnée. C’est fondamental.
Pourquoi est-ce si important pour vous de remettre le salarié au cœur de la fonction RH ?
Dans un monde de plus en plus de service, et de moins en moins d’industrie, la valeur ajoutée est essentiellement intellectuelle et humaine. Cela vaut donc la peine de s’intéresser à la valorisation du capital humain. Plus largement le facteur humain prend une place de plus en plus importante. Mais pas le facteur humain dans le sens, erreur d’appréciation. Il s’agit davantage pour moi des erreurs qui peuvent survenir des interactions entre les humains.
Il y a aussi des phénomènes de balancier. Il y a eu une mode dans les ressources humaines : le process. A force on peut se demander où est la place de l’homme dans tout cela ? Je crois que nous sommes en train de revenir un petit peu là-dessus. On a tellement sophistiqué les ressources humaines aujourd’hui qu’il faut des process. Mais on est peut-être dans une phase de balancier inverse où l’on se dit qu’il faut revenir en arrière.
Nous avons parlé de l’engagement et de la négociation, de l’écoute et de la canalisation de l’information, existe-t-il d’autres enjeux importants pour vous pour les fonctions RH actuelles ?
Oui : l’internationalisation des ressources humaines. C’est un vrai sujet parce que là encore nous sommes en prise avec notre système économique. La question de l’international dans les ressources humaines était jusque-là traitée sous l’angle de la mobilité internationale : gestion des expatriés en résumé. Aujourd’hui, quand vous travaillez dans une entreprise du marché global vous avez à gérer sa globalité sans pour autant être expatrié. Pour une raison simple, les pays émergeants forment eux-mêmes leurs propres managers. Le vrai défi pour les RH c’est ça : « comment je continue d’entretenir la performance de mes collaborateurs dans un monde international sans les faire bouger ?»
Une dernière problématique me parait essentielle : la question du management de proximité.
Au début des années 2000, les entreprises ont connu une « fracture sociale ». Cela s’est traduit par une espèce de fossé entre la direction et les salariés. On a mis entre l’épée et l’enclume une catégorie de personnel : le management de proximité. Ils étaient prisonniers des injonctions de la direction et de leur proximité avec leurs collaborateurs. Alors qu’ils sont la courroie de transmission de l’entreprise, nous avons insuffisamment investi, en termes de formations par exemple, sur ces salariés. C’est un vrai sujet la professionnalisation du métier du management de proximité car ce sont de vrais vecteurs de changement. C’est un vrai enjeu pour les années à venir.
Pour vous, que faut-il développer comme compétences, comme savoir-faire chez les « apprentis RH » pour qu’ils aient les moyens de répondre à ces enjeux multiples ?
Il faut travailler leur intelligence situationnelle. J’ai le sentiment que l’on s’est tous embarqué – nous nous sommes en train d’en sortir avec d’autres - dans une dérive techniciste de la fonction RH où il fallait apprendre comment recruter, rémunérer, gérer les compétences, gérer les carrières, la mobilité, les salaires et finalement on formait des personnes très techniciennes.
La compétence relationnelle c’est la compétence du futur pour le DRH. Il faut avoir un minimum de techniques bien sûr, mais l’on peut toujours s’entourer de techniciens.
Qu’avez-vous mis en place pour développer cette compétence relationnelle chez les élèves de l’Ecole IGS ?
On essaye d’introduire la question de la créativité dans nos programmes. Il faut dépasser la question des seuls savoir-être, savoir-faire, ... c’est la question du savoir transmettre. Dans leur formation, nous les mettons en posture de transmettre, de véhiculer un message, par tous les canaux. On leur apprend à les hiérarchiser ces canaux.
Le nombre de managers, et pas seulement en RH, qui sont incapables de dire merci ou bonjour c’est bien ou ce n’est pas bien... C’est quelque chose qu’il faut apprendre.
On a grandi dans un système de sanctions. Tu ne travailles pas à l’école, tu as une mauvaise note, des points en moins. Je trouve qu’il faut changer de paradigme là aussi si on veut énergiser les équipes et sortir de la question de l’absence de créativité.
Il y a quelque chose de très à la mode en ce moment et qui me plait bien : c’est le « thinking outside the box ». Je crois beaucoup à la question des homologies, des analogies pour faire avancer les choses. Que se passe-t-il dans un autre monde que le mien ? Que puis-je importer de cet autre environnement pour penser autrement ma problématique ? Dans quelles conditions ?... Ce sont des choses à apprendre à nos étudiants pour que ca devienne des reflexes professionnels.
Un autre élément important dans l’apprentissage des responsabilités RH : il faut réinventer le stage ouvrier dans la fonction RH. Un des dangers aujourd’hui, c’est vrai avec l’alternance en particulier, c’est de se retrouver très vite, trop vite dans des sièges sociaux, et de traiter de populations de façon totalement abstraite.